Les saucisses, pourquoi les saucisses?
À la tête de Ils en Fument du Bon, charcuterie de luxe, depuis un peu plus d’un an, Félipé St-Laurent évoque le souvenir de son ami, Ulysse Luenberger, un maître charcutier d’origine suisse. Décédé depuis quelques années, ce dernier lui a enseigné les secrets de sa science : « Je lui dois tout ». C’est un ami qui lui a parlé d’Ulysse pour la première fois. « C’était son voisin à Saint-Hilaire, il m’a dit : il a transformé son garage en fabrique de saucisses… il est aussi fou que toi! » Il n’en fallait pas plus pour que Felipe aille sonner à sa porte, un bloc de foie gras à la main. « Il était 10 h 30 le matin. Il m’a fait rentrer tout de suite. Tu peux être certaine qu’il avait vu le foie gras! » Si Felipe avait espoir de grappiller quelques bribes de son savoir, il ne savait pas à l’époque que cette rencontre allait changer sa vie.
À CUISINER : La légendaire terrine de campagne d’Ulysse
La consécration de Felipe comme entrepreneur culinaire était toutefois inscrite dans le ciel. Il gravite depuis toujours dans le monde des bars et des restos. Ce n’est qu’à 29 ans cependant, alors qu’il étudie aux HEC, qu’il a la révélation. « Dans ma tête, j’étais barman en attendant. Quand les gens s’étonnaient que je sois encore ‘dans les bars’, je répondais : oui, mais je suis étudiant aux HEC! Je pensais que j’irais travailler en costard dans un gros bureau. Jusqu’à ce que je comprenne que ma vie ce serait ça, la restauration. »
Traiteur de passage
Quelques mois plus tard, avec l’argent qu’il a amassé comme barman, il devient actionnaire minoritaire d’un service de traiteur, le Primavera, rattaché à l’Auberge Saint-Gabriel, dans le Vieux-Montréal. « En moins de trois ans, j’ai quintuplé les ventes et propulsé le traiteur dans la ville! »
Ayant comme actionnaire Marc Bolay, Garou & Guy Laliberté, le traiteur Primavera est consacré traiteur des tapis rouges pour le Cirque du Soleil et participe également aux soirées de première One Drop, pour l’Amérique du Nord. New York, Las Vegas, Miami, le glamour extrême. « C’était la grosse vie : j’étais beau comme un cœur, je buvais du champagne tous les jours », raconte-t-il. Mais à 34 ans, prise de conscience. « Je regardais ma vie et je me disais qu’il n’y a pas une fille intelligente qui voudrait de moi. Je voulais avoir des enfants un jour. Et traiteur, c’est pas une vie. T’es stressé quand tu reçois 4 personnes, alors imagine 800! Tu n’as pas le droit à l’erreur, surtout quand tu veux faire partie des meilleurs. »
Il a aussi en tête une longue conversation avec Ulysse : « On parlait souvent de la vie et de la mort, ensemble. Je lui ai demandé un jour s'il y avait des choses qu'il regrettait. Il m’a répondu : une seule : j’ai mon entreprise de charcuterie depuis 10 ans et j’aurais dû commencer bien avant ça. Ça m’a donné un coup. »
En route vers la saucisse
Felipe décide de vendre ses parts du traiteur. « Quand j’ai appelé ma mère pour lui annoncer, elle s’est mise à pleurer, raconte-t-il. Elle m'a dit : Tu es en burn out mon fils! Il fallait que j’aie du courage en chien pour croire en moi plus que ma mère. » Il arrête de travailler pendant un an et se met à produire de la saucisse. « J’ai transformé mon bureau en unité de production... J’ai condamné mon bain pour laver mes gros bacs! » Il peaufine les recettes d’Ulysse en les « pimpant » de gros morceaux! « Je voulais faire des saucisses dans toute la maîtrise traditionnelle, mais avec ma vision moderne : avec parfois de gros morceaux de viande ou de fromage et en proposant des saveurs flyées. » Il utilise de vrais boyaux saumurés comme il se doit, ne met pas de chapelure ou autres agents texturants, utilise des herbes fraiches. Exit la poudre d’ail. Côté saveurs, on parle de Bacon & fromage en grains, Smoked meat & moutarde, Chocolat noir et poivre de cayenne, Truffe et foie gras, Bleu, figues & porto, etc.
Plusieurs produits sont fumés, d’où le nom de l'entreprise – Ils en Fument du Bon –, aussi liés aux saveurs inusitées proposées. Pour créer du buzz, comme il dit, il fait produire un vidéo, dans lequel on le voit avec Ulysse. Le vidéo devient viral. Le web est alors son principal outil de promotion : « J’annonçais où j’allais être à Montréal avec quels produits, les gens me textaient et venaient me rejoindre. » Fin manipulateur – il ne s’en cache pas – il rend ses produits difficiles à obtenir. « J’étais comme un bon dealer de dope, explique-t-il. Il faut que tu connaisses quelqu’un qui te le présente, sinon, il ne t’en vendra pas ». Les médias et blogueurs de bouffe prennent le train, alimentés par les réseaux sociaux. Le buzz commence à opérer, quelques articles dans les journaux, la chaîne V, Louis-François Marcotte parlent de lui. Il reçoit l’accolade de chefs comme le réputé David McMillan, de Joe Beef : une de ses idoles.
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Mais il distribue toujours dans son réseau parallèle. « Un ami m’a dit: Tu ne peux pas continuer comme ça, faire des saucisses juste quand ça te tente! ‘’, raconte-t-il. Je savais qu’à un moment donné, ce serait plus sérieux, mais dans ce temps-là, c’était de même et je tripais! » Après plusieurs mois de ce régime toutefois, il a commencé effectivement à s’essouffler. « J’avais comme pas tout à fait assez calculé mes sous, dit-il. Ça a été pas mal rough pendant un bon quatre mois ».
À cette époque, RedBull lui demande de renouer avec son ancien métier, traiteur pour une soirée… « J’avais pas un rond pour acheter des plateaux ni rien, dit-il. J’ai ramassé des vieux skis de fond, des raquettes de tennis et des skateboards vintage dans les poubelles : j’ai fait des trous dedans et j’y ai planté des cure-dents pour piquer les saucisses. » Sa nouvelle signature de présentation IFB pour ses charcuteries est trouvée.
Il en a fumé du bon!
Puis à l’automne 2013, son ami François Forest, célèbre homme d’affaires du Plateau, achète des parts de son entreprise. D’autres copains, les gars du Pourvoyeur, lui proposent de partager un nouveau local avec Canards du Lac Brome, au Marché Jean-Talon. Et Zeste Télé qui débarque sur ces entre-faits, pour suivre ses tribulations, caméra à l’épaule. Sauvé par la cloche!
Depuis, le commerce, qui a ouvert en 2013, ne dérougit pas. « Aujourd’hui, ça a l’air beau comme ça, mais il y a des moments où j’ai braillé dans ma maison en tournant de la saucisse en me demandant si j’avais fait le bon choix, dit-il. Dans le fond, ce que j’aimerais, c’est que mon histoire inspire d’autres jeunes à se lancer en affaires. Tu tripes tartes ? T’as un job de c… chez Hydro? Ben, lâche-le et lance-toi! Avoir son entreprise, c’est avoir sa liberté! »
Ils en Fument du Bon maintient son ascension dans le marché charcutier avec trois boutiques au sein de la région de Montréal et de Québec. Une chose est certaine : on n’a pas fini de voir le visage de Felipe, impliqué un peu partout, à travers nos écrans comme dans vos assiettes!
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